Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 décembre 2011 1 05 /12 /décembre /2011 07:58

[Attention, article interdit au moins de 14 ans et aux filles sensibles qui pleurent pour rien]

 

Pour ceux qui auraient séchés les cours d’Histoire au collège, la Pologne a été envahie par l’Allemagne à la fin de l’été 1939. Invasion rapide, vite fait bien fait, malgré de jolis actes de résistance, comme à Westerplatte (que j’aborderai peut-être dans un article, j’ai visité les lieux de la bataille près de Gdansk).

La Pologne est occupée, et il est de notoriété publique que les Allemands n’étaient pas très gentils à cette époque. Les Polonais ne se sont bien évidemment pas laissé faire, et la résistance s’est organisée en de multiples réseaux.  Et qui dit résistance dit également répression. Et pour ça, les Allemands étaient doués.

 

A Varsovie, il y a eu deux grands centres de détention et de torture des prisonniers reconnus coupables ou  non de résistance à l’occupation, de crime politique, de tout et n’importe quoi : Pawiak et Szucha (prononcez Chou-rat). J’ai eu la « chance » de pouvoir visiter ces deux lieux de sinistre mémoire, ou plutôt de ce qu’il en reste : les Allemands ont fait exploser Pawiak lors de leur retraite et il ne reste qu’un morceau de barbelé à l’entrée et le premier sous-sol. Quant à Szucha, le bâtiment est intact et fait aujourd’hui office de…Ministère de l’Education.

 

J’ai toujours quelques problèmes à prendre en photo des endroits où des centaines de personnes ont été torturées à mort et ensuite les publier, donc je n’ai rien de personnel à vous montrer de l’intérieur de ces prisons transformées en musées, je vais préférer utiliser les photos officielles des musées.

 

 P1150815.JPG

L’entrée de Szucha

 

Pawiak

 

La terrible carrière de mort de Pawiak n’a pas commencé avec les tendres Germains. L’immense bâtiment a été construit en 1835 en tant que prison (les plans sont signés du parrain de Chopin, pour l’anecdote). Après l’insurrection de 1863, Pawiak sert de centre d’internement pour les rebelles en instance de transfert vers la Sibérie (oui, à cette époque, ce sont les tsaristes qui contrôlent Varsovie). Les sévices commencent déjà à cette époque. En 1918, après l’indépendance de la Pologne, Pawiak redevient une prison normale pour hommes.

En 1939, la Gestapo décide d’en faire sa prison. Environ 100 000 hommes et 200 000 femmes passèrent par Pawiak, aussi bien des résistants, des prisonniers politiques que des civils pris dans des rafles de rues. Envion 37 000 furent exécutées à Pawiak et 60 000 envoyées dans des camps, de la mort ou de concentration. Ce ne sont que des estimations, les archives ayant péries avec le bâtiment.

En effet, devant l’imminence de la défaite face aux soviétiques et face à l’Insurrection de Varsovie, les Allemands abattent tous les prisonniers (nombre inconnu) et font tout exploser le 21 août. Pas de preuve, pas de crime, semblaient-ils penser.

 

P1150806.JPG

Pawiak

 

Le musée est donc tout plat, souterrain. Sur les murs du rez-de-chaussée du seul bâtiment restant, des plaques commémoratives aux victimes de Pawiak. A l’entrée, il y a toujours un morceau du mur d’enceinte et donc un morceau de barbelés.

A l’intérieur, il ne reste que quelques cellules qui ont été reconstituées telles qu’elles étaient durant la guerre. Le couloir qui y mène n’est pas très large et est oppressant. C’est un véritable couloir de prison, où les pas résonnent terriblement. La grande salle principale héberge une exposition permanente sur la période 1939-1944. Y sont présentés des objets ayant appartenus aux prisonniers, ainsi que les reportages des journaux étrangers d’époque sur l’invasion et l’occupation de la Pologne. Beaucoup de caricatures également (et à ce jeu-là, les Français libres sont les plus incisifs). Comme dans tous les musées de ce genre, un mur est réservé aux victimes, avec une gigantesque mosaïque de photographies en noir et blanc qui ne peut être exhaustive étant donnée l’ampleur du massacre. Ma partie préférée de l’exposition a été la présentation sur de grands panneaux transparents posés au milieu de la pièce de quelques destins de résistants « ordinaires », comme cette femme, infirmière à Pawiak (fallait bien retaper les torturés avant de recommencer à les faire souffrir, torturer un mort c’est moins drôle) et qui faisait passer des messages importants, a été torturée à mort et n’a jamais rien dit pour ne compromettre personne au-dehors. Ça redonne un peu foi en l’humanité.

 

 pawiak_02.jpg

Des visages sur des listes de noms (piqué sur www.warsawtour.pl)

 

Un symbole de Pawiak qui a survécu à la destruction du site a été un arbre, un orme, près de l’entrée. Avec le temps, les survivants et les familles des victimes, ou tout simplement des Polonais lambda, y ont accroché des plaques commémoratives. Malheureusement, cet arbre, témoin impassible de toutes les horreurs commises à Pawiak est tombé malade. Il a été artificiellement maintenu en vie, mais il a fallu le couper. Il a été copié à l’identique, en métal, et les plaques y ont été à nouveau apposées. Le musée héberge les restes de l’arbre. Même lui n’a pas survécu à la barbarie de Pawiak.

 

 P1150810.JPG

Les ruines de l’entrée de Pawiak avec l’arbre en métal

 

 

Szucha

 

 

En réalité, Szucha est le nom de l’avenue où se trouve le massif bâtiment qui a servi de quartier général à la SS et autres polices allemandes. Les sous-sols servaient de prison pour les prisonniers fraichement attrapés ou pour ceux transférés depuis Pawiak. Il était plus facile de les faire venir que d’aller à eux, voyons. Après la guerre, il a été décidé de laisser quatre cellules communes et dix cellules individuelles intouchées. Telles qu’elles étaient. C’est le gros du Mauzoleum Walki i Meczenstwa, le Mausolée de la Lutte et du Martyre. On entre donc, on se fait assaillir par un écran géant montrant des témoignages de survivant en polonais, et ensuite en anglais. Ça commence bien. Nous nous engouffrons dans un premier couloir, celui des cellules individuelles, avec leurs lourdes portes de métal. Un bruit de fond : les bottes des soldats allemands qui résonnent au-dehors. Glauque. Des panneaux explicatifs montrent des plans de chaque cellule avec indiqués où sont les inscriptions gravées il y a 70 ans par les prisonniers destinés à mourir : des déclarations d’amour, mais aussi des bravades pour une Pologne libre. Des trous dans les murs, également. Lorsqu’il fallait exécuter un prisonnier, pas la peine d’ouvrir la porte, juste viser par le judas, et voilà. C’est l’explication de ces nombreux trous au fond des cellules.

 

Vient ensuite la reconstitution d’un bureau d’officier allemand, avec une exposition de tous les instruments de torture. Et après, les quatre cellules collectives, les « trams ». Les prisonniers nouvellement débarqués devaient attendre dans cette salle, assis, bien droit, sans bouger ni parler, le regard droit devant, qu’ils se fassent interroger. Cela pouvait durer deux ou trois jours. Si un prisonnier osait bougeait, il n’était pas rare qu’il soit battu à mort. Dans ce couloir, une note sur le mur indique que le plancher sous mes pieds était en permanence couvert du sang des prisonniers torturés à mort. Les cadavres de ceux qui n’avaient pas survécus étaient allongés là, contre le mur, en attendant que quelqu’un prenne la peine de s’en occuper. Et toujours ces bruits de bottes.

2477136-The_Tram_Warsaw.jpg

Les trams

 

Clairement, Szucha est le plus glauque des deux musées. On en fait le tour en trente minutes, mais c’est bien assez. Certaines personnes ne peuvent clairement pas supporter. D’ailleurs, l’entrée est interdite aux visiteurs de moins de 14 ans.

 

Pour conclure, je copie ici le texte écrit en gros à l’entrée du musée, d’après une inscription sur un mur de cellule :

 

It is easy to speak about Poland.

It is harder to work for her.

Even harder to die for her.

And the hardest to suffer for her.

 

Il est facile de parler de la Pologne.

Il est plus dur de travailler pour elle.

Encore plus dur de mourir pour elle.

Et le plus dur est de souffrir pour elle.

 

Je vous donne rendez-vous à très bientôt pour de nouveaux périples en Pologne (comment j’ai cassé l’ambiance, là).

Partager cet article
Repost0

commentaires