A Reims, j’ai le malheur d’avoir un ami libraire. Je suis si faible que je m’oblige, à chaque fois que nous déjeunons ensemble, à lui acheter un livre ou à lui en commander un.
Ainsi, un midi, il n’y avait personne dans les rayons, alors je pris mon temps pour lui demander de regarder s’il pouvait m’obtenir des livres en édition bilingue polonais-français. Passons les quelques livres pour enfants aux prix exorbitants, un recueil de poésie attira mon attention. Edité en 1995 par une petite maison, il est pourtant encore disponible. Zbigniew Herbert… ? Jamais entendu parler. Aller, j’ai abusé du temps de mon ami, alors je le commande.
La semaine suivante, la petite anthologie m’attend. Une couverture super austère, je commence à me dire que je vais regretter l’acquisition de l’anthologie de cet obscur poète polonais…
Eh bien non.
C’était super bien.
A MOI ! A MOI ! A MOI !
Déjà, Zbigniew Herbert (1924-1998) est loin d’être un « obscur poète polonais ».
Résistant dans l’Armia Krajowa durant la Seconde guerre mondiale (j’ai l’impression d’écrire ça à chaque fois), Herbert a eu maille à partir avec la censure du fait de ses écrits anti-communistes. Il avait été nommé pour le Nobel de Littérature 1968, mais l’on dit que les Communistes auraient fait pression pour qu’un auteur aussi ouvertement dissident ne puisse pas le recevoir.
Je ne vais pas faire une analyse littéraire pointue de l’évolution poétique de l’œuvre de Zbigniew Herbert. Tout d’abord, cela n’intéresserait pas grand monde, et surtout, je ne sais pas (plus) le faire. Sans surprise, c’est quand même vachement compliqué, de quoi qu’i’cause, avec le personnage central de Pan Cogito, ou de très nombreuses références historiques et mythologiques. En fait, le plus simple reste de se référer à la 4eme de couverture :
« Comment croire, comment dire lorsqu’on appartient à une génération « qui a traversé l’apocalypse pour se retrouver captive » ? La douleur peut-elle avoir un sens ? Quelle parole prendre aux morts, qui gisent « la poitrine ouverte (…) et l’obole amère de la patrie sous la langue engourdie » ? Le miracle, chez Herbert, c’est que la voix amère, narquoise, féroce, qui nous invite au partage d’un destin pesé « sans la moindre goutte d’espoir au cœur », nous paraisse s’élever comme du fond des temps pour parler en notre nom. »
La sélection de Jacques Burko retrace toute la carrière de Zbigniew Herbert, et la plupart des poèmes sont excellents (Maman, Du haut de l’escalier pour en citer deux). Pourtant, c’est le premier poème de l’anthologie qui m’a peut-être le plus marqué. Je me permets d’en retranscrire ici la traduction :
« DEUX GOUTTES
Les forêts brûlaient –
et eux
se nouaient les bras au cou
comme des bouquets de roses
les gens couraient aux abris –
il disait des cheveux de sa femme
qu’on pouvait s’y cacher
une couverture pour deux
ils chuchotaient des mots sans honte
litanie des amoureux
Quand tout allait très mal
ils plongeaient dans les yeux en face
avant de les serrer fort
très fort pour ne pas sentir le feu
qui déjà léchait les cils
jusqu’au bout courageux
jusqu’au bout fidèles
jusqu’au bout semblables
comme deux gouttes
arrêtées au bord du visage »